Au plus loin que porte le regard, une multitude de sommets et de pics coupent l’horizon, à demi baignés dans les nuages. Ici et là des rais transpercent les cieux et allument au sol des brasiers aux teintes vives qui détonnent avec les parages. Une rangée de dents saillantes et noires coupe la vallée et semble ne donner aucune issue aux flots couleur moutarde qui serpentent en contrebas. À notre droite, la route sinueuse qui semble aller se perdre vers un précipice est bordée d’un promontoire rocheux de karst grisé et rongé par les temps, qui héberge sur son dôme une végétation capricieuse et ébouriffée qui contraste abruptement avec son socle. Devant nous, des cultures terrassées aux verts subtilement entremêlés courent presque verticalement jusqu’au fond du ravin et se perdent dans les calottes de brouillard qui dansent d’un pas lent vers les hauteurs.
C’est à huit heures du matin, en sortant de la ville de Dong Van et au détour de quelques lacets que nous nous sommes arrêtés, subjugués, devant ce tableau que la nature avait peint inlassablement pendant des millénaires. Ce n’est qu’un des nombreux paysages subtils et délirants, mais parfois aussi austères et rocailleux, qui se sont imprimés en nous lors de notre vagabondage sur le plateau karstique du nord-est du Vietnam. Les pentes y étaient parfois très ardues mais chacun de nos coups de pédale en valait le coup. Pas pressés par le temps, nous parcourions de petites étapes, le nez toujours en l’air, répondant sans faillir aux innombrables « hello » des locaux.